Comment le téléphone portable a changé la politique en Afrique
Par Sabine Cessou

Le portable a changé le rapport des citoyens aux politiques.
youtube.com
Avec les smartphones, qui allient la technologie du portable à celle
d'Internet, les rapports de force ont changé en Afrique. Exemples en
Guinée, au Kenya et au Rwanda, où de simples citoyens témoignent
désormais en temps réel des violences politiques en prenant des
images.Avec de lourdes conséquences pour les responsables politiques
incriminés.
Sans le téléphone portable, le massacre du 28-Septembre 2009 dans un
stade de Conakry en Guinée n'aurait sans doute pas provoqué la même
onde de choc. Ce n'était pas la première fois que des civils désarmés
étaient tués par leur propre armée, habituée sous les régimes
dictatoriaux de Sékou Touré puis de Lansana Conté à réprimer les
manifestations dans le sang. Fait sans précédent, cependant, la tuerie
a été immortalisée et retransmise aussitôt sur Internet, par le biais
de photos et de scènes filmées par des témoins sur leurs portables.
Le monde entier a vu des images des 156 morts qu'a causé ce massacre,
ainsi que des violences faites aux femmes: au moins 109 d'entre elles
ont été violées par des militaires dans les jours qui ont suivi.
Aussitôt, l'émoi international s'était traduit par une forte pression
diplomatique sur la junte au pouvoir. Moussa Dadis Camara, un
putschiste qui a succédé au président Lansana Conté après la mort de
ce dernier fin 2008. Il avait promis de rendre le pouvoir aux civils
au bout d'un an, avant de changer d'avis et de se présenter à la
présidentielle tant attendue, mobilisant contre lui un vaste front de
la société civile et une foule de manifestants.
Après le massacre du 28-Septembre, les Nations unies ont envoyé une
mission d'enquête internationale, puis la Cour pénale internationale
(CPI) a ouvert une enquête préliminaire. Des démarches qui ont
provoqué de vives tensions au sein de l'armée, ensuite contrainte de
mener une transition express. Autre première en Guinée : la justice a
lancé des poursuites contre les responsables du massacre et ouvert des
procès suivis de près par la CPI.
Recul de l'impunité au Kenya
Au Kenya, à l'autre bout de l'Afrique, l'impunité a aussi reculé grâce
au téléphone portable. Après une présidentielle contestée, fin 2007,
des citoyens se sont regroupés pour lancer le site Internet Ushahidi
http://www.ushahidi.com/ (« témoin » en swahili). Leur objectif :
collecter les témoignages et localiser les incidents sur Google Maps.
Ce média social innovant a permis de croiser les informations reçues
par SMS, courrier électronique, comptes Twitter et Facebook, sur des
violences qui ont fait plus de 1 300 morts.
Le logiciel développé pour cette plateforme, dénommé SwiftRiver, a
depuis connu un succès mondial. Il a été utilisé lors de catastrophes
naturelles telles que le séisme de 2010 en Haïti, puis la tempête de
neige à Washington et les incendies de forêt en Russie. Il n'a
cependant pas encore fait d'émules ailleurs en Afrique, lors d'autres
crises post-électorales.

A Goma, dans une boutique de téléphones portables.
Getty images/R.J. Ross
L'existence d'Ushahidi n'en a pas moins été lourde de conséquences
pour les responsables politiques kényans. Des mandats d'arrêt
internationaux ont été lancés contre eux par la CPI, qui juge pour la
première fois de son histoire des dirigeants en exercice. Le procès du
vice-président William Ruto s'est ouvert en septembre dernier, et
celui du président en exercice, Uhuru Kenyatta, prévu pour novembre,
est reporté au 5 février 2014.
Des contrepouvoirs importants, groupes de presse, syndicats et ONG se
sont dotés partout de sites Internet. Dans certains pays, le contrôle
de l'information se fait plus strict. Au Rwanda, notamment, la Ligue
des droits de la personne dans la région des Grands-Lacs (LDGL
http://www.ldgl.org/) a choisi d'héberger son site Internet en Suisse
pour éviter interférences et censure sur ses informations en ligne.
Le président rwandais Paul Kagamé https://twitter.com/PaulKagame, de
son côté, figure avec son homologue nigérian Goodluck Jonathan parmi
les chefs d'Etat les plus connectés d'Afrique. Par le biais de son
compte Twitter, suivi par 200 000 personnes, il répond parfois à ses
critiques. « Personne dans les médias, les Nations unies et les
groupes des droits de l'homme, n'a le droit de me critiquer, selon le
despotique et délirant Kagamé », twittait ainsi Ian Birrell
http://www.aviewfromthecave.com/2011/05/ian-birrell-vs-paul-kagame-on-twitter.html,
ancien rédacteur en chef-adjoint du quotidien britannique « The
Independent », le 14 mai 2010. Le même jour, il a reçu une réponse de
Paul Kagamé : « Vous non plus… Aucune autorité morale! ». Les
nouvelles technologies changent le rapport des citoyens avec leurs
responsables politiques, mais aussi celui de ces dirigeants avec le
reste du monde.
http://www.rfi.fr/mfi/20140103-telephone-portable-mobile-smartphone-politique-afrique?ns_campaign=editorial&ns_source=gplus&ns_mchannel=reseaux_sociaux&ns_fee=0&ns_linkname=20140103_telephone_portable_mobile_smartphone_politique_afrique
Il n'y a plus aucun doute, le sauvetage du Rwanda viendra de
l'extérieur. L'intérieur du pays est "pris en otage".
--
SIBOMANA Jean Bosco
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