Analyses et débats continuent d'inonder la toile, la plupart du temps par des activistes ou des fanatiques qui se livrent à des raisonnements passionnés et trop simplistes au sujet de la crise burundaise. Certains compatriotes rwandais qui commentent cette crise laissent tout simplement pantois, la raison étant qu'ils transposent leurs propres frustrations dans un contexte en réalité dissemblable, au risque d'envenimer le situation. Mais seulement à l'avantage de qui?
Voici plutôt comment la crise au Burundi est un tremplin potentiel pour un Kagame qui prépare insidieusement son "comeback" sur la scène internationale. Ses détracteur ne font que lui faciliter la tâche. Tentative d'explication de deux scenarios possibles:
1. P. Kagame a tout intérêt au maintien de P. Nkurunziza au pouvoir
Au fond de cette crise burundaise transparaît la trame électorale qui s'étend sur toute la sous région et sur une période d'au moins trois ans. Cette crise de Bujumbura n'est au départ ni ethnique ni institutionnelle, à ce que je sache. Tout commence seulement le jour où Pierre Nkurunziza nourrit le désir de se maintenir au pouvoir après son deuxième mandat au pouvoir. Son propre parti, CNDD-FDD, sera le premier à lui opposer un véto magistral. Monsieur Nkerunziza devra traverser l'Akanyaru pour quelques minutes de consultation avec son homologue rwandais. L'attitude que le président burundais adopte depuis cette brève rencontre de Huye explique aisément quel a été le conseil de Kagame. Bien que plus tard Kagame déclarera du haut des tribunes internationales que Nkurunziza est un "loser" impopulaire, il est conscient que le départ de ce dernier entraînerait inévitablement l'effet domino "démocratique" sur le voisin Congo en 2016 et sur le Rwanda en 2017. Contrairement donc à ce que ses détracteurs ont fait entendre, Kagame n'aura aucune intention de renverser Nkurunziza de peur de voir les revendications pour le changement s'intensifier au Rwanda. Le cas du Burundi constituant un parfait baromètre pour ce qui adviendra au Congo et plus tard au Rwanda, le maintien de Nkurunziza [par la fusion de sang] risque de redonner des ailes à Kabila, et un argument de taille à Kagame, le moment venu, pour faire de même. Par ce scénario, Nkurunziza risque d'entrer par la grande porte dans le "panthéon des dictateurs sangunaires" de notre époque.
2. Les erreurs de P. Nkurunziza sont une aubaine pour P. Kagame
Dès le déclenchement de la crise burundaise, le président rwandais a mis en garde le régime de Bujumbura et il n'a pas besoin de le répéter. Au cas où les Tutsi sont ciblés par les massacres, Kagame ne demandera la permission à personne pour intervenir.
Je viens de lire ce qu'un spécialiste européen dit au sujet de la crise du Burundi et ça me clique dans le cerveau :
"Plus le conflit politique actuel va durer, plus les peurs, les rancœurs vont s'accentuer et plus le risque de conflit ethnique se renforce. C'est malheureusement en partie inscrit dans la logique de la radicalisation de la part du pouvoir qui joue cette carte." [Prof. Christian Thibon]
Ceux qui pensent que ce spécialiste de l'Afrique des Grands Lacs est un imposteur devraient vite se détromper. Monsieur Thibon a visé juste. La carte ethnique apparaît en filigrane dans cet imbroglio burundais et pourtant les motifs de cette crise reflétaient le désir ardent des citoyens, toutes les ethnies confondues, de changement démocratique. Ceux qui poussent le régime de Nkurunziza à se radicaliser ethniquement jouent le jeu de M. Kagame car une guerre civile où les Hutu majoritaires et lourdement armés pourraient massacrer les Tutsi affaiblis signifierait "Génocide". Et le voeu du président rwandais ne saurait être mieux exaucé! Et pourquoi le régime de Bujumbura tient-il à se radicaliser? Eh, bien, entre autres la présence nombreuse d'officiers étrangers (notamment congolais) qui ont peur de perdre leur job une fois leur "frère d'armes" et protecteur Nkurunziza parti.
Voilà en bref, deux scénarios malheureux pour Nkurunziza, mais le malheur des uns faisant le bonheur des autres, Kagame y trouverait un avantage de taille.
Ismaïl Mbonigaba