Compte tenu de l'importance de ce dossier, je vous envoie le texte complet de l'article. Sibomana Jean Bosco.
En réaction au document publié par un certain Dr Seth Naza, le Colonel Laurent Serubuga qui, à l'époque, était Chef d'Etat-major adjoint de l'armée, a tenu à réagir et à faire quelques mises au point. Nous vous en offrons l'intégralité.
« La lecture de ce document du Dr Seth Naza appelle les commentaires suivants :
D'abord le souhait de connaitre les circonstances de la mort des anciens politiciens de la première République est légitime. Je le partage et le soutiens totalement.
Je pense toutefois que ce souhait peut être satisfait par l'obtention et la diffusion des résultats d'enquête du magistrat instructeur qui a traduit les coupables devant les juges. Le contenu de cette enquête connue permettrait au lecteur de réaliser ainsi s'il y a des zones d'ombres dans cette affaire. Sinon dans l'ignorance du contenu de l'enquête on risque de verser dans des suspicions risquant de desservir la mémoire des victimes.
En effet, face à ce drame qui a endeuillé les familles des victimes et blessé profondément l'Etat, celles-ci ont droit de connaître la vérité.
Ce drame est donc, sauf récupérations idéologiques ou politiques, national même si la douleur est plus cruellement ressentie par les familles éprouvées. L'Etat qui a été ainsi rabaissé aussi bas a été meurtri.
Devant la loi, seule la douleur physique distingue les victimes en l'occurrence. L'Etat dont la responsabilité est incontestable par les actes commis par ses agents, devait combler voire suppléer pour accompagner et assister les survivants afin qu'ils connaissent la vérité et conséquemment ne cèdent pas au découragement et surtout pour leur permettre de surmonter l'épreuve.
C'était probablement le sens de l'indemnisation dont parle Dr Seth Sara, peut être insuffisamment conçue.
L'Armée mon corps d'attache n'étant pas concernée je n'en ai pas été informé. Par conséquent, Je n'ai pas de commentaires à faire.
Toutefois, à titre de contribution au souhait d'informer des circonstances qui ont entouré la mort des politiciens de la Première République et en complément des éléments révélés en août 2014, j'ajoute la précision suivante relative au scénario de l'organisation des prestations de l'Armée Rwandaise au près de ces personnes telles que prescrites par le ministre de la Défense Nationale après concertation avec son collègue de la justice.
Dès les premières arrestations, le Procureur de la République a réparti les prisonniers en deux groupes: l'un dans la prison de Gisenyi et l'autre, le plus gros, dans celle de Ruhengeri.
Après plus ou moins trois semaines, décéda le regretté Kalisa ancien secrétaire général au Ministère de l'information. L'information fut communiquée par télégramme radio au réseau de l'Armée. L'information fut orientée pour suite appropriée aux autorités compétentes.
A peine une semaine après décédèrent les regrettés Jean Gakire ancien secrétaire général au ministère des Affaires Etrangères et le regretté Ferdinand Gasamunyiga, journaliste à Radio Rwanda.
L'information fut de nouveau communiquée également par message radio via le réseau radio de l'Armée par le commandant de la compagnie de Gisenyi. L'information est arrivée après les heures normales de service quand le commandement est assuré par l'Officier de permanence à l'Etat Major de l'Armée, comme le prévoyait le règlement en la matière. Le capitaine Nyamwasa de permanence ce jour sollicita une réponse à réserver à de tels messages.
Le chef d'Etat Major lui ordonna de convoquer une réunion d'Etat Major pour étudier cette question de la sécurité des transmissions que dénonce le capitaine Nyamwasa G2 de l'Etat Major responsable de la sécurité de l'Armée.
La réunion convoquée se tint le lendemain. Il fut décidé d'interdire aux commandants des compagnies Gisenyi et Ruhengeri de transmettre de tels messages par le réseau de l'Armée. Le chef d'Etat Major en même temps ministre de la Défense nationale et Président de la République promit lors de la réunion qu'il allait actionner son cabinet pour se concerter avec le Ministre de la justice afin d'édicter des directives claires devant régir les missions des militaires au près de ces prisonniers.
Dans les trois jours suivants, le Ministère de la Défense Nationale communiqua les directives devant régir ces missions aux près de ces prisonniers.
En résumé ces directives répartissent les tâches en deux catégories :
- les prisons : des gardes aux entrées et de la défense physique (pourtour des bâtiments) et contrôles aux entrées (enregistrer les sorties et entrées).
- Les escortes: fournir les escortes et les moyens logistiques requis.
Les hommes affectés aux gardes et aux escortes doivent établir des rapports de mission à l'issue de leur faction.
Les commandants d'unités concernées en rendent compte conformément au règlement 21 (CRS ou CROS).
L'Etat Major répercute les informations des CRS( Compte-rendu de Sécurité) et CROS( Compte-rendu Occasionnel de Sécurité) au Ministre de la Défense.
Ainsi étaient précisément circonscrites les missions des membres de l'Armée, tout autre militaire de l'Armée, même membre de famille, voulant accéder à ces prisonniers devait se munir d'une autorisation écrite du procureur de la République.
Cela facilita le travail du magistrat instructeur lors de son enquête.
Son enquête a, en fait, consisté en trois étapes :
1-Saisie des documents d'une période estimée couvrir la période où ont disparu ces prisonniers.
Il saisit les copies des télégrammes IN et OUT à l'Etat Major et dans les 2 unités concernées (Gisenyi et Ruhengeri) ainsi que les registres du courrier IN et OUT aux mêmes échelons.
- Il saisit ensuite les copies des rapports de garde et d'escortes dans les deux unités. Il saisit également les comptes rendus de sécurité (CRS)et (CROS).
- En troisième lieu, en compagnie de l'officier d'ordonnance détaché feu Major Mugemana pour l'accompagner, il analysa ces documents saisis pour détecter les éléments intéressant son enquête.
Le magistrat instructeur examina aussi les CRS et CROS où il nota qu'aux rubriques ad hoc le commandant de la compagnie Ruhengeri avait pris l'habitude d'utiliser les mentions de la routine tactique « RAS (Rien à signaler) ou situation inchangée » au lieu de répercuter chaque fois les éléments repris dans les rapports de garde ou d'escortes (différence des entrées et sorties) ,ce qui aurait permis à l'Etat Major de répercuter ces éléments aux échelons supérieurs pour compétence.
Son enquête situa et retint à ce stade les seuls manquements graves au niveau de la compagnie Ruhengeri où les éléments signalés par les chefs de poste à la garde de la prison et par les chefs d'escortes n'ont pas été répercutés à l'échelon supérieur (Etat Major) pour exploitation, il retint également à charge de certains hommes de garde ou d'escorte l'absence de rapports de mission. Ils seront déferrés devant les juges. Ici se situe le goulot d'étranglement de l'information qui empêcha que quiconque d'autres que les responsables des services pénitentiaires ne sache ce qui se passait.
C'est ce scénario diabolique que Mr Eugène Ndahayo décrit dans son manifeste du 16 août 2014 et qui a été révélé par les anciens directeurs et surveillants de la prison de Ruhengeri aux juges.
La mort de ces personnes aurait été facilitée par ce black out de l'information sur leur situation.
Comment en en est-on arrivé à ce scénario ?
Ce que l'on sait est que quand le procureur de la République a demandé et obtenu que les enquêtes de ces prisonniers soient confiées, sous sa supervision, aux enquêteurs du service central de renseignements, il a été question de savoir si ce n'est pas en violation de la loi, le ministre de la justice fut d'avis d'aménager la loi mais le procureur principal intéressé de l'affaire intervint en assurant qu'il n'y a lieu de changer la loi mais qu'il suffira qu'il accorde au directeur du service central de renseignements la qualité d'OPJ à compétence générale et celle d'OPJ à compétence restreinte aux enquêteurs. Qu'ainsi il supervisera personnellement l'exécution.
La question posée est celle de savoir quand, pourquoi et comment les directeurs des prisons se sont trouvés sous l'autorité directe du directeur du service central de renseignements alors que c'était le rôle du Procureur. Quand ce dernier a-t-il délégué ce rôle et qu'a-t-il fait exactement?
Mon opinion sur l'affirmation selon laquelle la mort des politiciens de la première République est à l'origine de l'antagonisme entre Nduga-Kiga est regrettablement une affirmation inexacte due à cette absence d'informations précises sur les circonstances et les raisons réelles de la mort de ces prisonniers.
Je suis d'avis que moyennant la disponibilité des informations contenues dans l'enquête comme souligné plus haut et après que les gens auront pris connaissance des responsabilités retenues contre les coupables et quand ils seront à même de porter sereinement un jugement objectif sur des zones d'ombres éventuelles remarquées dans l'enquête ou dans le procès, ils pourront alors faire une appréciation plus objective.
Les familles des Victimes sont fondés quant à la recherche de la vérité. Et nul doute que la gravité de ce drame impactera longtemps et défavorablement les relations ordinairement sans frontières géographiques dans la vie de tous les jours. Mais, l'enjeu majeur est la capacité de dépasser ce stade pour canaliser les esprits vers un avenir commun prometteur.
Que l'on ne s'y trompe pas ! Seuls ceux qui sauront transcender les passions et les pesanteurs du passé pourront faire émerger de ce sombre bourbier de notre passé récent des énergies capables de faire converger des forces pour la conquête de l'objectif principal avant de rêver de l'au-delà.
Laurent Serubuga »