RFI
La commémoration des massacres interethniques de 1972 suscite la polémique au Burundi. Chaque année, des cérémonies de recueillement ont lieu au Burundi mais pour la première fois cette année les associations de familles de victimes demandent que cet épisode sanglant de l'histoire du pays soit reconnu officiellement par le gouvernement burundais et par les Nations unies comme un « génocide » contre les Hutus.
Mais au Burundi, tout le monde ne partage pas cette lecture de l'histoire. Et certains craignent que ce débat ne ravive les tensions ethniques.
C'est l'une des pages les plus sombres de l'histoire du pays. En 1972, le régime dominé par les Tutsis, au nom de la répression contre une tentative de coup d'Etat, a massacré les élites hutues. On estime que 100 000 personnes ont été tuées, en majorité des Hutus mais aussi des Tutsis.
Briser le silence et lutter contre l'impunité. Voilà l'objectif affiché par François Xavier Nsabimana, responsable du Collectif des survivants et victimes des massacres de 1972 contre les Hutus, qu'il qualifie de génocide.
« En organisant cela, dans l'objectif de réclamer que justice soit faite, c'est l'une des voies pour réconcilier les Burundais. C'est une façon de chercher à mettre un terme à l'impunité, à comprendre que dès que tu tues ton frère, tu seras sanctionné », estime François Xavier Nsabimana.
Mais cette lecture de l'histoire ne fait pas l'unanimité. Pour Vital Nshimirirama, président du Forum pour le renforcement de la société civile au Burundi, le moment est très mal choisi pour une telle revendication
« Ce n'est pas maintenant que le régime de Nkurunziza est en train de tirer sur la corde ethnique qu'une organisation prétende commémorer cette journée, en disant que c'est un génocide alors que Burundais de toutes ethnies confondues ont été victimes de la répression de l'Etat en 1972, à en croire les récits qui existent jusqu'à présent », avance Vital Nshimirirama.
Un 44ème anniversaire dont les autorités burundaises se sont largement fait écho, multipliant sur les réseaux sociaux les appels au recueillement. Pendant qu'au même moment, l'opposition célébrait les un an du début de la contestation du 3ème mandat de Pierre Nkurunziza.
Les « démons du passé »
Pour le président de la Commission vérité et réconciliation, le malaise qui règne autour de la célébration du 44e anniversaire des massacres interethniques de 1972 montre à quel point certains pages parmi les plus sombres de l'histoire du Burundi n'ont pas encore été digérés. Il estime lui aussi que le moment est mal choisi pour relancer le débat et craint que cette polémique ne ravive les divisions ethniques dans un contexte déjà très difficile au Burundi.
Il appelle les uns et les autres à ne pas réveiller « les démons du passés ». « Que les gens cherchent à faire le deuil des membres de leur famille je crois qu'il n'y a pas de péché à faire cela. Mais si nous voulons vraiment être des personnes responsables, je pense que nous devons aussi tenir compte des contextes que nous traversons dans notre pays. Parce que la crise que nous traversons aujourd'hui au Burundi a réveillé les démons du passé, notamment les démons ethniques », explique monseigneur Jean-Louis Nahimana.
Il demande aussi à ce qu'on laisse avant tout sa Commission travailler. Une commission, dont le rôle est justement de qualifier tous les crimes commis au Burundi depuis l'indépendance et qui a enfin vu le jour cette année, douze ans après la date prévue par l'accord de paix d'Arusha. « La sagesse exigerait qu'on laisse d'abord cette commission faire son travail et je suis sûr et certain qu'au bout, on va découvrir que ce ne sont pas seulement les Hutus qui ont été victimes dans ce pays, tout comme les victimes tutsis vont découvrir qu'elles ne sont pas les seules victimes dans ce pays. La meilleure voie de sortir de cette situation, que l'on soit Hutu ou Tutsi, c'est plutôt de penser à la personne humaine. »