C'est une petite église de briques rouges entourées de bananeraies au bord d'une piste. Les jardinières sont manucurées, les acacias et les eucalyptus participent à l'étrangeté d'un lieu à la fois bucolique et macabre. A l'intérieur de l'église, Stanley, le guide, désigne les alignements sans fin de crânes, de fémurs et de clavicules sur les étagères métalliques.
Les vêtements poussiéreux des victimes pendent aux poutres et tapissent les murs de l'église où sont également conservés les effets des réfugiés massacrés : sacs de haricots, cahiers d'écoliers, stylos Bic, et chapelets. « Il y a dans ce pays quelques négationnistes. Ils prétendent qu'il n'y a jamais eu de génocide au Rwanda. Mais après avoir vu tous les crânes dans notre mémorial et dans d'autres, il est impossible de nier le génocide », explique le guide dont toute la famille a été emportée dans les massacres de 1994.
Tout autour de l'église, des fanions gris et blancs ont été tendus sur les grillages en vue des commémorations. Le gris évoque la cendre, le blanc, la nouvelle vie des Rwandais réconciliés. « Nous avons pardonné », explique Séraphine, unique survivante d'une famille de neuf enfants. « Les mémoriaux s'adressent aux étrangers, ils sont un lieu de recueillement pour les rescapés, mais ils s'adressent aussi aux bourreaux, et j'espère que les génocidaires se rendent compte de ce qu'ils ont fait lorsqu'ils viennent visiter les mémoriaux, et qu'ils se disent : plus jamais ça », explique cette femme de 58 ans au regard triste et doux, avant d'ajouter : « On leur avait vraiment appris à détester les Tutsis, donc moi je pense qu'il faut bannir le concept d'ethnies du Rwanda. » Et de conclure, désignant l'église : « Les ethnies ne nous ont servi à rien, à part nous mener à ce que vous avez vu dans le mémorial. »
Amina, témoin du massacre de l'église de Ntarama, partage comme beaucoup d'autres ce point de vue, même si l'armée, les milices extrémistes interahamwe et ses propres voisins ont tué tous les siens. Sa vaste maison est logée dans la bananeraie qui jouxte l'église. Elle s'est enfuie lorsqu'elle a entendu les grenades et les premiers coups de feu, et a tout vu, de sa cachette dans les papyrus : « quand ils coupaient les crânes à la machette, ça faisait le même bruit que les courges qu'on me demandait de couper à la hache quand j'étais enfant », se souvient-elle. Amina, dont les yeux rient même quand elle décrit la folie meurtrière du génocide, dit apprécier les prises de paroles des bourreaux dans les mémoriaux, mais elle grimace lorsqu'elle apprend que l'on prend congé pour rendre visite à Stanislas Kagwendéri, l'ancien cadre administratif qui, elle en est sûre, a tué son beau-frère.
L'homme, au regard de fou, se comporte en caïd dans le quartier qu'il a retrouvé après sept années de prison, à quelques kilomètres de piste du mémorial de Ntarama. Il a demandé pardon en public, mais avec nous, son discours est truffé de contradictions, et il nie avoir jamais porté un seul coup.
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