Lu pour vous : Soldats, mercenaires et conseillers russes se multiplient dans la capitale centrafricaine
REPORTAGE
Soldats, mercenaires et conseillers russes se multiplient dans la capitale centrafricaine
Par Rémy Ourdan (Bangui, envoyé spécial)
LE MONDE Le 23.04.2018 à 16h10 • Mis à jour le 23.04.2018 à 17h49
La Russie installe peu à peu sa présence depuis qu'un accord militaire a été conclu entre Moscou et Bangui en décembre 2017.
A Bangui, on parle presque autant d'eux que des rebelles qui se regroupent dans l'arrière-pays et menacent d'avancer vers la capitale centrafricaine. Ils alimentent la machine à spéculations et à fantasmes, tant on s'interroge sur l'étendue de leur influence. Eux, ce sont les Russes : militaires, mercenaires, hommes d'affaires ou conseillers de l'ombre.
Les faits sont connus. Après une rencontre à Sotchi, en octobre 2017, entre le président centrafricain, Faustin-Archange Touadéra, et le ministre russe des affaires étrangères, Sergueï Lavrov, Moscou a demandé au Conseil de sécurité de l'ONU une dérogation à l'embargo sur les armes à destination de la Centrafrique afin de faire un don de matériel militaire au gouvernement et de lancer un programme d'entraînement des Forces armées centrafricaines (FACA). L'autorisation fut obtenue en décembre et un Iliouchine II-76 de l'armée russe a effectué le 26 janvier une première livraison à l'aéroport de Bangui.
L'accord entre Bangui et Moscou prévoit la fourniture de lance-roquettes, mitrailleuses, fusils automatiques et pistolets, ainsi que l'entraînement au maniement de ces armes de deux bataillons des FACA, soit 1 300 hommes. Une cérémonie pour la fin de la formation d'un premier contingent de 200 hommes s'est tenue le 31 mars en présence du président Touadéra. Voilà pour l'histoire officielle. Mais les surprises se sont enchaînées.
Bokassa « ne repose plus en paix »
Il y a tout d'abord eu la mise à disposition du palais de Bérengo aux envoyés de Moscou. Cette bâtisse à l'abandon, à 60 km à l'ouest de Bangui, était la demeure de Jean-Bedel Bokassa, au pouvoir de 1966 à 1979, enterré dans le domaine. Cette révélation a lancé une vive polémique entre le gouvernement et la famille Bokassa, qui n'avait pas été prévenue de la transformation du palais et des 40 hectares de terrain en camp militaire.
Les héritiers Bokassa ont indiqué, dans un communiqué, « avoir appris avec émoi et consternation la présence de soldats russes sur les terres ancestrales de Bérengo » et ont demandé l'éloignement des militaires de la sépulture de celui qui s'était autoproclamé « empereur » en 1976. Son fils Jean-Serge Bokassa, ancien candidat à la présidentielle et alors ministre de l'intérieur, a dénoncé la décision dans un tweet : « Surprise totale. […] Notre père y repose, mais plus en paix. » Un porte-parole gouvernemental a tenté d'éteindre la polémique en affirmant que « Bérengo appartient au domaine de l'Etat ». Même si l'affaire de Bérengo n'est, loin de là, pas l'unique raison de sa mésentente avec le président Touadéra, Jean-Serge Bokassa vient de démissionner du gouvernement. Il affirme aujourd'hui que « l'arrivée des Russes dans le pays est l'élément clé de [son] retrait ».
La surprise suivante fut que le cantonnement des Russes à Bérengo n'a pas duré plus de temps qu'il n'en faut à une harde d'antilopes pour se disperser dans la brousse. Bien que désireux de rester discrets, des hommes à l'allure militaire mais sans uniforme réglementaire, blancs et non francophones, se repèrent aisément dans Bangui. En quelques semaines, ils ont été vus à la présidence, dans certains ministères, avec les soldats centrafricains qu'ils entraînent, mais aussi circulant en ville avec des patrouilles de gendarmes ou faisant des emplettes dans les supermarchés libanais de l'avenue Boganda. Certains ont aussi été vus dans l'arrière-pays.
Accès illimité au président Touadéra
Leur présence et leur accoutrement ont fait comprendre aux Banguissois que les envoyés de Moscou n'étaient pas, comme ils l'avaient présumé, des officiers de l'armée russe officielle. Sur ce point, pour ses interventions à l'étranger – comme en Syrie –, la Russie s'est totalement « américanisée » : pour cinq officiers considérés comme appartenant aux services de renseignement militaire, presque tous les autres hommes présents en Centrafrique sont employés par deux sociétés privées, Sewa Security Services et Lobaye Ltd.
Ils ont fait leur première apparition officielle le 30 mars au stade de football de Bangui, pour les célébrations du deuxième anniversaire de la présidence Touadéra. A la présidence, ces hommes ont vite détrôné les soldats rwandais de la mission de l'ONU en Centrafrique, la Minusca, qui assuraient auparavant la garde du chef de l'Etat. Tandis que ces derniers sont désormais postés sur les parkings et devant des portes closes, ce sont les hommes de Moscou qui assurent la protection rapprochée du président, ayant un accès illimité à son agenda et à son premier cercle. La présidence confirme l'arrivée d'« une section de forces spéciales russes destinée à renforcer la sécurité autour du président », sans davantage de précisions.
Un « conseiller » russe s'est aussi installé à la présidence. « Un directeur de la sécurité » placé là pour coordonner le travail des gardes du corps, relativise une source centrafricaine ; « un intermédiaire clé pour les contacts tant sécuritaires qu'économiques entre Centrafricains et Russes », pense plutôt un expert occidental ayant ses entrées à la présidence.
Car, au-delà de la dérogation du Conseil de sécurité de l'ONU et des accords militaires et sécuritaires, des contrats ont été conclus pour des missions de prospection minière. Ce pays riche en diamants, en or et en uranium, au potentiel sous-exploité pour cause de guerre et de chaos, attise les convoitises. Ces ressources naturelles sont d'ailleurs l'une des raisons de la division du pays après la guerre civile entre communautés chrétienne et musulmane qui avait éclaté en 2013, et les luttes intestines entre groupes rebelles qui s'en sont suivies, chacun d'eux exploitant des mines.
« Ils arrosent sans vergogne »
« L'activisme russe dans la région, qui suit un axe qui va du Soudan à l'Angola, inquiète les Américains, reconnaît un diplomate européen. Concernant la Centrafrique, ils attendent de voir comment la France va réagir. » A Bangui aussi, on se demande si l'ancienne puissance coloniale va laisser Moscou s'installer au cœur du pouvoir centrafricain. « C'est le choix des Centrafricains, soupire un diplomate français. Et puis nous n'avons pas vraiment les mêmes méthodes que les Russes. Eux arrosent sans vergogne tous ceux qui leur ouvrent les bonnes portes. »
L'Union européenne n'en continue pas moins son propre programme de formation des FACA. De son côté, Washington a réagi en faisant un don de 12,7 millions de dollars (10,3 millions d'euros) à l'armée centrafricaine pour des véhicules, du matériel de communication et des formations d'officiers aux Etats-Unis.
Si l'objectif était de contrer l'influence russe, le seul résultat visible confine au paradoxe : dans les Ford flambant neufs livrés par les Américains aux soldats centrafricains circulent désormais des types à l'allure de Spetsnaz (forces spéciales russes), sous l'œil mi-interloqué mi-satisfait des Banguissois qui, dans leur majorité, doutent, depuis le retrait militaire de la France, que la Minusca seule soit à même de les protéger de la rébellion.
Posted by: Nzi Nink <nzinink@yahoo.com>
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