Génocide au Rwanda: non-lieu confirmé en appel dans l'enquête sur l'armée française à Bisesero
La cour d'appel de Paris a rejeté mercredi les accusations de "complicité de génocide" visant l'armée française et son éventuelle inaction lors des massacres de Bisesero au Rwanda en 1994, mais la Cour de cassation pourrait être saisie d'un pourvoi des parties civiles.
Selon des sources proches du dossier à l'AFP, la chambre de l'instruction a confirmé le non-lieu prononcé au profit des militaires et rejeté des demandes d'auditions supplémentaires.
Lors de l'audience mi-septembre, le parquet général avait requis la confirmation du non-lieu.
"Je me félicite de cette décision qui rend leur honneur aux soldats que j'ai commandés, injustement accusés de complicité de génocide et de crimes contre l'humanité", a déclaré dans un communiqué à l'AFP le général Jean-Claude Lafourcade, chef de l'opération militaro-humanitaire Turquoise, s'interrogeant sur une "instrumentalisation" par les associations plaignantes des victimes du génocide.
Me Pierre-Olivier Lambert, qui le défend ainsi que plusieurs officiers généraux, demande à ce que soit "accepté que la vérité judiciaire soit la vérité historique".
Me Emmanuel Bidanda, qui défend Jacques Rosier, chef des opérations spéciales présent à Bisesero, a indiqué qu'il serait "très vigilant à faire respecter cette décision par tous, afin que cessent une bonne fois pour toute les accusations infamantes".
Dans cette affaire, les associations Survie, Ibuka, FIDH et six rescapés de Bisesero, parties civiles, accusent l'opération Turquoise et la France de "complicité de génocide".
Ils leur reprochent d'avoir sciemment abandonné pendant trois jours les civils tutsi réfugiés dans les collines de Bisesero, dans l'ouest du Rwanda, laissant se perpétrer le massacre de centaines d'entre eux par les génocidaires hutu, du 27 au 30 juin 1994.
Dans ce dossier judiciaire très ancien, "nous sommes évidemment déçus" mais "ce n'est pas une surprise" au vu des "résistances pour mettre en jeu la responsabilité des militaires et à plus forte raison des autorités publiques françaises", a commenté auprès de l'AFP Me Patrick Baudouin, avocat de la FIDH et de la LDH, parties civiles.
Avec Me Olivier Foks, avocat de Survie, ils réfléchissent à un pourvoi en cassation.
Alors que les motivations détaillées de la décision doivent être connues ultérieurement, François Graner, porte-parole de Survie, a évoqué un "déni de justice", s'inquiétant notamment, que les juges d'appel aient pu retenir "la nécessité d'une intention génocidaire pour pouvoir être considéré comme complice" de celui-ci, ce qui serait selon lui "aberrant vu la jurisprudence constante de la Cour de cassation".
Il se disait aussi préoccupé que la cour d'appel retienne un argument des juges de première instance à l'appui du non-lieu d'après lequel "les militaires sur le terrain auraient pris leur décision indépendamment de l'état-major parisien".
"Le dossier dit constamment l'inverse", a ajouté M. Graner.
"Echec profond"
En septembre 2022, les juges d'instruction avaient rendu un premier non-lieu, assurant que leur enquête, formellement close en juillet 2018, n'avait pas établi la participation directe des forces militaires françaises à ces exactions, pas plus que leur complicité par aide ou assistance aux génocidaires, ou même par abstention.
L'enquête avait ensuite été rouverte pour raisons procédurales, liées à la publication du rapport de la commission présidée par l'historien Vincent Duclert, rendu en avril 2021, qui a pointé "l'échec profond" de la France lors des massacres de Bisesero.
Les deux magistrats instructeurs parisiens du pôle crimes contre l'humanité avaient conclu de nouveau en octobre 2023 à l'abandon des poursuites pour les cinq militaires visés dans la procédure et qui n'ont jamais été mis en examen.
Ce dossier reflète la controverse historique sur les objectifs de cette mission déployée au Rwanda sous mandat de l'ONU pour faire cesser le génocide des Tutsi.
Les parties civiles réclament depuis des années un procès non seulement contre les militaires, mais également contre des membres de l'entourage de l'ancien président François Mitterrand, au pouvoir pendant le génocide, et jamais visés par l'enquête.
Selon l'ONU, les massacres instigués par le gouvernement hutu ont fait plus de 800.000 morts au Rwanda entre avril et juillet 1994, essentiellement au sein de la minorité tutsi.
Mi-novembre, le tribunal administratif de Paris a rejeté une requête déposée par des victimes du génocide des Tutsi au Rwanda visant à faire condamner l'Etat français pour sa complicité présumée dans la tragédie survenue en 1994, et notamment à Bisesero, s'estimant "incompétent".
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