Mais ce développement ne profite qu'à une minorité. 80 % des Rwandais vivent encore d'une agriculture de subsistance qui les maintient dans la misère. Et ces paysans sont majoritairement des Hutus. Mais cela, on n'a pas le droit de le dire dans le Rwanda de Paul Kagamé, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 1994.
La stabilité politique a fait du Rwanda la première destination touristique de la région des Grands Lacs. On a réussi à remplacer les images d'horreurs du génocide par celles des gorilles de montagne et des magnifiques décors naturels des mille collines. En 2010, le Rwanda a attiré 665 000 touristes. 52 % des devises étrangères du pays proviennent désormais de cette industrie.
Le rapport Doing business 2010, de la Banque mondiale, classe le Rwanda dans le peloton de tête des pays africains ayant fait le plus de réformes pour faciliter la création d'entreprises et la construction. Le Rwanda serait aussi le pays le moins corrompu de l'Afrique de l'Est, selon l'ONG Transparency International.
Depuis un an, toutefois, un nuage assombrit cette image de réussite. On réalise à quel point le développement se fait, au Rwanda, au prix d'importantes violations des droits de la personne. De hauts gradés de l'armée et des proches du président Kagamé désertent et révèlent le côté plus sombre du chef du Front patriotique rwandais.
Pour la première fois, le régime est critiqué par des sources bien informées qui révèlent l'ampleur des moyens pris par l'État pour étouffer toute critique. Celui qui mène la charge, le général Faustin Kayumba Nyamwasa, ex-chef d'état-major, a été victime d'une tentative d'assassinat l'été dernier en Afrique du Sud. Ce pays a depuis rompu ses relations diplomatiques avec le Rwanda.
En août 2010, le président Kagamé s'est fait réélire en recueillant 93 % des suffrages, un score stalinien obtenu en écrasant tout mouvement d'opposition, emprisonnant ou forçant à l'exil ceux qui osent critiquer son régime. Une loi interdisant les « propos qui divisent » permet au gouvernement d'emprisonner quiconque écrirait, par exemple, que la minorité tutsie occupe la majorité des postes dans la fonction publique.
Dans le Rwanda post-génocide, il est interdit de faire une distinction entre Hutus et Tutsis. Tout le monde est Rwandais, point final. Il est interdit donc d'écrire, par exemple, que la très grande majorité des Hutus, qui forment plus de 80 % de la population, vit dans la misère, et profite peu des millions de dollars du tourisme.
L'étoile de Paul Kagamé pâlit sur la scène internationale depuis un an. En octobre 2010, l'ONU a publié un rapport accablant : l'armée rwandaise aurait commis des crimes génocidaires contre les Hutus dans l'est du Congo, dans les années suivant le génocide.
Le rapport décrit comment des milliers de civils – une majorité d'enfants, de femmes, de vieillards et de malades – ont été massacrés à coups de marteau. Sous le prétexte de traquer des génocidaires hutus dans l'est du Congo, des milices appuyées par le régime de Paul Kagamé auraient commis des crimes contre l'humanité.
L'homme fort de Kigali, jusqu'ici appuyé sans réserve par les Américains et les Britanniques, n'est plus aussi sollicité dans les forums internationaux. Son dernier voyage en Belgique, en décembre, a été un fiasco diplomatique. Sa visite à Paris prévue en mars a été annulée. Les explications varient. Le nouveau ministre des Affaires étrangères de la France, Alain Juppé, n'était pas à l'aise avec cette visite, chuchote-t-on au quai d'Orsay. Des médias africains affirment plutôt que Paul Kagamé a annulé son voyage parce qu'il craignait un coup d'État durant son absence.
Le reportage Mirage rwandais est diffusé à l'émission Une heure sur terre, le vendredi 15 avril, à 21 h.
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