Le 16 septembre, pour la troisième fois depuis le génocide de 1994, les Rwandais étaient appelés aux urnes pour élire leurs députés. Comme prévu, le score est sans appel : le Front patriotique rwandais (FPR) remporte 76,22 % des suffrages exprimés et par la même écrase tous les autres partis en présence. Aussi, nombre d'observateurs ont trop vite admis que ce scrutin était sans enjeux.
Il faut
dire que le régime du président Paul Kagamé a prouvé son efficacité à contrôler la scène
politique nationale tant le FPR perpétue une forme de monopartisme démocratique grâce à la coalition qu'il a mis en place. Pourtant, ces élections revêtaient tous les apparats de la démocratie dans le cadre d'un multipartisme... de façade.
Dès le début de la campagne électorale, des signes inquiétants de dérives autoritaires étaient manifestes. Pour une opposition ostracisée, cela se traduit par des difficultés à
mener campagne, de nombreux obstacles à l'enregistrement des candidats, l'impossibilité de proférer des critiques lors des rares débats publics et surtout des menaces à l'encontre des leaders d'opposition quand ils ne sont pas
jeter en prison ou leurs partis interdits... Ce résultat, même s'il est validé par la Commission électorale – seules quelques irrégularités marginales ont été observées –, ne confère donc pas un caractère démocratique à l'événement tant les partis présents sont autant de satellites du FPR.
"KAGAMÉ NE S'EST JAMAIS COMPORTÉ COMME UN CHEF D'ETAT"
"La population est totalement dépolitisée. Si le taux de participation est aussi fort [97,5 %], c'est que tout le monde est fiché. Ce qui incite la population à aller voter, c'est la peur. Dans cette situation, on ne peut pas parler de plébiscite du pouvoir", déplore un chercheur présent à Kigali. Il faut
dire que le comportement brutal de Kagamé, qui surveille tout et tout le monde – au point que la rue évoque même
"l'oeil omniscient de Kagamé" – a généré des tensions au sein même du FPR.
Un officiel rwandais de passage à Paris reconnaissait avec dépit qu'
"on admet que Kagamé soit un homme fort, mais on ne peut pas le respecter car il ne s'est jamais comporté comme un chef d'Etat. Il est toujours resté un chef du service de sécurité, poste qu'il occupait en Ouganda dans sa jeunesse. Il est finalement craint pour ce qu'il est réellement." Un homme fort qui ne peut se
passer de ces élections pour démontrer à tous – y compris au sein de son propre parti – sa domination sans pareille.
"Les législatives étaient l'opportunité de voir s'il y avait des fissures au sein du FPR et donc un possible changement de régime à terme, explique un analyste de la politique de l'Afrique des Grands Lacs. Ce qu'il en ressort, c'est un renforcement du régime et de Kagamé lui-même." Le président incarne tellement ce régime qu'il a tendance à se
muer en autocrate qui défend son trône à la manière d'un Negus à la rwandaise. Aussi l'enjeu de ces élections est avant tout de préparer l'échéance de 2017. Paul Kagamé sera alors au terme de son second mandat de président et ne pourra en
briguer un autre qu'à condition de
modifier la Constitution. Et pour cela, il lui faut un parlement dévoué à sa cause.
LIMOGEAGE
Si le 9 février M. Kagamé annonçait lors d'une réunion du Conseil exécutif du FPR ne pas
souhaiter se représenter, il précisait que
"c'est au peuple rwandais de décider de cette proposition [pour un troisième mandat]. Je ne peux pas non plus fuir mes responsabilités." "Tout le monde se pose des questions pour 2017, reconnaît un universitaire
. Soit Kagamé se représente, c'est le scénario que souhaitent les jeunes technocrates car ils l'idolâtrent et c'est grâce à lui qu'ils sont actuellement dans les sphères du pouvoir. Les historiques, qui tendent à être remplacés par cette nouvelle génération, préféreraient, eux, un départ de Kagamé pour éviter un système à la Museveni [président de l'Ouganda depuis 1986] ou Mugabe [président du Zimbabwe depuis 1987]. On pourrait finalement s'acheminer vers un modèle à la chinoise. Comme pour Deng Xiaoping, l'homme fort de Kigali pourrait garder l'armée et céder le pouvoir politique à un autre petit à petit." Face à ce flou entretenu par Paul Kagamé lui-même, ce qui est sûr, c'est qu'il vaut mieux se
poser des questions plutôt que de
prendre la parole. Le 24 mai, le ministre de la
justice Tharcisse Karugarama l'a compris à ses dépens. Suite à une interview accordée au
Guardian, où il avait appelé à ce que le président ne se représente pas – conformément à la Constitution –, le général-major Paul Kagamé lui a fait
savoir qu'il était limogé.
DÉSTABILISATION DE LA RDC
Au plan national, ces élections, interrogent donc plus qu'elles ne donnent de réponse. En changeant de focale et en les envisageant d'un point de vue
international, la lecture est tout aussi instructive. Tout d'abord, le président rwandais s'appuie sur un bilan économique plutôt flatteur (8,2 % de croissance annuelle moyenne ces cinq dernières années) et l'application d'une bonne gouvernance appuyée par une lutte contre la corruption réelle lui confère la confiance des bailleurs de fonds internationaux.
Un rapport d'autant plus important pour le
Rwanda que le pays tire plus de 40 % de son budget de l'
aide étrangère.
"L'aide internationale est conditionnée moins aux droits de l'homme qu'à la bonne gouvernance. La démocratie n'est pas une condition nécessaire à son octroi", rappelle le chercheur indépendant André Guichaoua.
"C'est au seuil de 99,9 % que le Rwanda a bien utilisé son budget 2011-2012. Mais certains défis sont à souligner comme l'excès du budget dans le ministère de la défense", a fait observé le patron de la coopération à l'ambassade d'
Allemagne, M. Jolke Oppewal, le 22 janvier. Mais depuis que l'ONU a publié, le 12 octobre 2012, un rapport d'un groupe d'experts indépendants prouvant que le Rwanda déstabilise son voisin, la République démocratique du Congo (RDC), en finançant la rébellion du Mouvement du 23 mars (M23) qui dispute à l'
armée congolaise le contrôle des Kivus, ces provinces de RDC frontalières du Rwanda et immensément riches en minerais, le président rwandais ne peut plus se
poser uniquement en faire-valoir des Occidentaux qui démontre que l'aide à l'Afrique n'est pas un gâchis sans espoir et qu'un pays africain peut
devenir un exemple de redressement spectaculaire (après le génocide de 1994).
GEL DES AIDES
Avec ces manœuvres, Paul Kagamé est tombé quelque peu en disgrâce auprès d'Etats qui l'avaient toujours soutenu jusqu'à présent. Son pays est dorénavant sous le coup du gel des aides de certains bailleurs –
Pays-Bas,
Royaume-Uni, Allemagne, Banque africaine de développement. Sa réaction ne s'est pas fait
attendre et dans une interview à
Jeune Afrique, le président rwandais a dénoncé ces procédés en s'insurgeant contre le fait que ces aides soient utilisées
"comme un moyen de contrôle politique".
Il était donc capital pour Kagamé de
voir son
pouvoir légitimé sans contestation dans les urnes pour
pouvoir faire pression sur la communauté internationale au moment des négociations des accords de paix avec la RDC d'Addis Abeba et celles de Kampala entre le gouvernement congolais et les membres du M23. Parallèlement, et dans le même sens, le Rwanda déploie actuellement ses troupes à la frontière de la RDC ce qui
"préoccupe" un cadre de la mission onusienne en RDC. Et d'
ajouter que
"le Rwanda s'imagine toujours comme un Etat assiégé donc la réponse est excessive à la moindre menace extérieure. La communauté internationale se montre indulgente car il y a des intérêts économiques à défendre qui sont colossaux, principalement autour des minerais." BOURSE DES MATIÈRES PREMIÈRES
Quelques mois avant ces élections, le 23 janvier, en marge du Forum de Davos, Paul Kagamé, en plein scandale sur sa présumée implication dans la déstabilisation de l'Est de la RDC, annonçait la création à Kigali pour le troisième trimestre 2013 d'une
bourse des
matières premières de l'Afrique de l'Est (EAX) au côté de Jendayi Frazer, ancienne sous-secrétaire d'Etat américaine aux Affaires africaines sous l'administration George W. Bush, fondatrice de 50 Ventures qui soutient le projet.
Le but vanté par les promoteurs est d'accroître la transparence des marchés des produits de la région des Grands Lacs et de développer des marchés à terme en Afrique orientale. Pour Bienvenue-Marie Bakumanya, journaliste congolais au
Potentiel,
"la création de cette bourse permet avant tout au président rwandais de contourner le verrou créé par la loi Dodd-Frank de 2010 sur le commerce des minerais de la zone de conflit en RDC. C'est une tentative de blanchiment de ressources naturelles de la RDC." Avec fermeté et assurance, entre pressions militaires et opportunité économique, Paul Kagamé, pour
calmer les esprits, fait de l'EAX un argument diplomatique.
" Il utilise cette bourse comme un élément déterminant dans la stabilité de la région et un début de pacification possible avec la RDC, évoque un spécialiste de la région. Cela permettrait surtout de légaliser le trafic organisé par le Rwanda et surtout de pérenniser les taxes sur les minerais. Dans son jeu d'évitement, il doit donc montrer sa puissance, même au sein de son pays. " Les élections législatives en étaient un des instruments. A l'évidence, les enjeux dépassent de loin la seule scène politique rwandaise.
Tristan Coloma
Le partage du pouvoir a été consacré par la Constitution adoptée en 2003. Le président de la République et le président de la Chambre des députés sont issus de formations politiques différentes. La Constitution dispose également que le parti politique majoritaire à la Chambre des députés ne peut pas dépasser 50 % de tous les membres du gouvernement. Les députés n'occupent pas leur place en fonction de leur appartenance politique, mais par ordre alphabétique.
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